Papa, où t’es ?
C’était le 23 février 2011, à 9h03.
Il y a 3 ans exactement.
Un mercredi.
Ma mère et moi étions en train de prendre le petit-déjeuner.
Un rayon de soleil matinal pointait à travers la vitre et nous réchauffait le visage. Il faisait bon. La journée s’annonçait radieuse.
Ni elle ni moi ne parlions.
Fatiguées aussi bien physiquement que mentalement, nos visages étaient cernés, fermés, marqués par le calvaire que nous vivions.
La maison était silencieuse, calme, paisible, rangée. Rien ne laissait paraître le marasme qu’il avait régné ici même il y a encore quelques jours. Les cris de douleur, les cris qu’on voudrait pousser mais que l’on retient et qui dévorent le ventre, les larmes, les blessures à l’âme qui ne cicatriseront jamais, les nuits interminables sans sommeil où la folie rode.
Cela faisait 4 ans que mon père se battait contre la maladie et 5 jours qu’il était en soins palliatifs.
5 jours que nous savions qu’il allait mourir et qu’on attendait le moment.
5 jours que nous allions le voir à l’hopital et que nous étions témoins d’un combat perdu d’avance.
5 jours au bout desquels on en vient à souhaiter la mort de quelqu’un qu’on aime.
Quand le téléphone a sonné ce matin là, c’était une évidence.
Elle a laissé son bol de céréales encore plein sur son plateau et elle s’est levée pour aller répondre dans la cuisine. Peut être voulait-elle être seule face à elle-même quand elle l’entendrait. Peut être ne voulait-elle pas que j’entende et qu’elle voulait me le dire, après, avec ses mots. Peut être n’a-t-elle même pas eu conscience de se lever.
A travers ses réponses, j’ai eu la confirmation de ce que je savais déjà.
« Oui bonjour docteur » « Quand ça ? » « Je le sentais ce matin » « Je ne sais pas encore » « Je vous rappelle« .
Pendant ce temps, j’ai pensé « Est ce qu’elle va finir ses céréales ? » Est ce qu’on peut se rasseoir et finir de déjeuner après ça ? »
J’ai compris que quelque chose ne tournait pas rond chez moi. Qui peut se poser se genre de question à l’instant même où l’on annonce la mort de son père ? Comme si mon esprit avait besoin de se raccrocher à quelque chose de concret et de tangible pour ne pas sombrer. Des céréales. Un petit déjeuner. Débarrasser. Faire la vaisselle. Avancer. Ne pas penser. Continuer.
Je suis sortie de ma torpeur pour la serrer dans mes bras. En raccrochant, elle a bredouillé « Il est parti, chérie« . J’ai dit « Je sais« .
Elle m’a expliquée que nous avions le choix d’y aller ou non, de le voir ou non. Ma réaction a été instantanée. Épidermique : Hors de question de voir mon père mort.
D’abord, c’est comment un mort ? A partir de combien de temps est-ce qu’on devient froid ? A partir de combien de temps commence-t-on à se rigidifier ?
Ma mère était plus partagée, elle ne savait que faire. Je la regardais, hésitante. Si forte, si fragile. Très vite, elle est finalement partie pour l’hopital.
Le bol de céréales est resté sur le plateau. Intact.
A présent seule dans la maison familiale, je me suis assisse sur le lit de mes parents. J’ai passé ma main sur les affaires de mon père, ses chemises, son manteau.
Dans la poche, il y avait ses gants … et ses mouchoirs qu’il trimballait partout. J’ai pensé qu’il ne le mettrait plus jamais et je me suis demandé ce qu’on pouvait bien faire du manteau d’un mort.
Un jour vous êtes là, vous rentrez chez vous, vous posez le manteau sur le dossier de la chaise. Et le lendemain (ou presque), vous êtes mort. On prend votre manteau et on le met dans un grand sac poubelle. Hop, direction la décharge.
Et c’est comme ça pour tous les objets que vous avez accumulé et qui vous semblaient importants. A quoi ça sert, tout ça ?
Je suis restée un moment dans le silence et la méditation. Tant de larmes avaient coulé depuis des mois que je n’y arrivais plus.
Le téléphone a sonné, j’ai décroché.
Le service commercial d’Orange était très en verve ce matin là. Je n’ai pas réussi à l’arrêter. Pendant qu’il me vantait les mérites d’une connexion WIFI doublée d’un forfait exceptionnel permettant d’appeler les fixes et les mobiles en ILLIMITÉ, j’ai pensé « Mon père est mort il y a 20 minutes … Qu’est ce que ça peut bien me foutre ?«
Je l’ai remercié poliment. Je n’étais pas intéressée.
Je suis sortie prendre l’air dans le village et mes pas m’ont guidé vers l’église. J’y suis rentrée, me suis assise au premier rang. Ça sentait l’encens. Je déteste l’encens. Les vannes se sont ouvertes sans même que je le veuille. Je n’arrivais pas à arrêter le torrent qui coulait de mes yeux. Je n’avais jamais prié mais j’ai demandé à Dieu d’accueillir mon père.
De retour à la maison, j’ai compris que ça n’allait pas. Il fallait que je sois à l’hopital moi aussi. Avec ma mère, ma tante, ma grand-mère. Peu importe ce que je pouvais faire ou si c’était difficile. Il FALLAIT que je sois là.
Je suis allée à l’hopital en bus. Je regardais les gens et me sentais tellement loin d’eux. Ils allaient sans doute au travail, faire des courses, chez le docteur peut-être. Combien d’entre eux allaient voir leur père sur son lit de mort ?
J’ai retrouvé ma famille sur place et la responsable des soins palliatifs m’a accueilli. Elle m’a demandé si je voulais le voir et j’ai dit oui.
Elle m’a accompagnée jusqu’à la chambre. Dans le couloir, elle m’a dit « C’est la première fois?« .
J’ai failli répondre « Que je vais voir le cadavre de mon père ? Oui, c’est la première fois« .
J’ai finalement opté pour un simple « oui »
On est entrés dans la chambre et je l’ai vu pour la dernière fois. Pâle, fatigué d’un combat acharné, mais apaisé.
La responsable m’a laissé seule avec lui.
J’ai caressé sa joue, elle était un peu froide.
Son oeil était très légèrement ouvert alors j’ai essayé de le fermer mais je n’ai pas réussi.
Il n’y a que dans les films que ça marche aussi bien.
Je l’ai embrassé, serré ses mains, et entre deux sanglots, je lui ai dit combien je l’aimais.
Chacun s’est recueilli un moment près de lui. Puis, on a pris ses affaires, quelques vêtements et une trousse de toilette, et on est parti.
Sur nos pas, ils ont du le mettre dans un grand sac plastique et tirer la fermeture éclair.
Ziiiiip.
Fini.
Rideau.
Merci pour tout.
Un ciel sans nuage nous attendait dehors. Il faisait une chaleur printanière. Les amandiers étaient en fleurs.
Des enfants jouaient devant l’hopital.
La vie continuait.
La vie continue.
Aujourd’hui encore quand je regarde cette photo affichée dans mon bureau, mon coeur se serre.
On me voit avec ma mère et mon père. La main gauche de mon père effleure tendrement le dos de ma mère tandis que sa main droite tient mon bras. Nous ne savons pas que nous étions pris en photo à ce moment là.
Parfois encore, je sens encore la chaleur de sa main sur moi. Et sur ma peau, cette petite pression, paternelle, rassurante, qui me dit « je suis là, près de toi, ne t’en fais pas, tout va bien« .
Et j’en suis sûre, il est bel et bien là.
Magnifique. Poignant. Je crois que rien ne nous prépare à ce moment là.
Merci pour ce texte très beau, malgré la tristesse, très vrai et authentique.
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On est jamais préparé à ça effectivement … A n’importe quel âge, jeune ou moins jeune, la perte d’un parent est l’un des moments les plus douloureux d’une vie … Mais, je crois que c’est une épreuve dont on sort forcément grandit et qui ouvre à une nouvelle vision des choses…
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Je l’ai lu l’an dernier et je le relis cette année avec la même émotions et la même larmes à l’oeil.
Ca a fait un an fin janvier que papa est mort cette année,c’était pas facile ce jour là, j’espère qu’avec le temps ça ira mieux.
Je me marie dans moins de 3 mois et je me demande tous les jours, comment ça sera, ce jour-là, sans lui.
Mais la vie continue et j’essaye de voir le positif. De l’an dernier en février, je me rappelle que j’ai revu ma soeur, qu’on a fait visiter la ville à lin chéri, que j’ai eu le droit de conduire la grosse voiture de papa. Essayer de se rappeler les moments de joie qu’on a créer à se moment-là pour contrer la peine et la douleur.
Gros bisous ma petite Laurie
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Je crois que le manque et l’absence seront toujours là, surtout dans les moments importants ou symboliques … mais c’est vrai quand on dit que la peine s’atténue au fil du temps … On y pense avec plus de sérénité et de recul … Je te souhaite de tout coeur un beau mariage ma belle, et il sera là pour veiller sur toi ce jour là, comme tous les autres jours d’ailleurs ! De gros bisous
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Je n’ai pas pu lire ton article jusqu’au bout. C’est trop difficile pour moi en ce moment. Ma mère est malade. C’est tout récent, elle commence tout juste à être prise en charge et chaque jour et une angoisse.
Je n’ai pas pu lire ton article mais, je suis de tout coeur avec toi.
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Je suis bouleversée par ton commentaire Mélanie … Moi tu sais, je n’ai plus besoin de soutien, même si (comme je le disais dans le commentaire précédent) le manque et l’absence sont toujours là, tout cela est maintenant derrière moi… Je ne sais pas ce que tu vis exactement mais en tout cas je sais à quel point c’est difficile de faire face à tout ça… Je te souhaite énormément de courage, et toutes mes pensées t’accompagnent ma belle …
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Tu sais que tu vas me faire chialer ma race ?
C’était pas mon père. Mais mon grand père.
C’est pas ma mère en ce moment. Mais ma tante.
Et pourtant tous ces mots, toutes ces phrases je les ai eues en moi.
La vie continue : c’est dur comme phrase au début. Et un jour on se rend compte que c’est vrai et ça n’empêche qu’on n’oublie pas.
« Les douleurs finissent par partir épuisée elles mêmes de nous faire souffrir ! » Foenkinos
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On n’oublie jamais mais c’est vrai que la peine s’atténue au fil des ans … Petit à petit, la douleur laisse place à un souvenir plus doux … Je t’embrasse bien fort Paula et merci pour ton si joli commentaire …
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C’est très émouvant ce que tu écris et je le ressens tellement pour l’avoir vécu aussi avec ma maman ! J’avais 25 ans quand elle est partie, ça fera 24 ans cette année ; le manque est toujours présent et j’aimerais tellement qu’elle fasse partie de ma vie. J’ai été brisée par sa disparition, je pense à elle tous le jours… mais comme on dit il faut continuer. J’envoie toutes mes pensées aux personnes qui sont dans cette situation et je vous embrasse à toutes ! merci pour ce témoignage si vrai !
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Je viens de découvrir ton blog, et bizarrement ou pas, c’est sur cet article là que je me suis dirigée. Je suis presque certaine qu’en fait il n’y a pas de hasard dans ce choix.
Papa où t’es… cette question je me la pose souvent, cette chanson je l’ai en tête à cause de son absence. Mais maintenant, je suis persuadée qu’il est là, qu’il me voit et qu’il est heureux de la vie que j’ai choisi depuis qu’il est parti.
Merci beaucoup pour ce texte touchant.
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Hello ! Bienvenue sur le blog … En effet, tu t’es dirigée vers un article qui me tient beaucoup à coeur … L’absence est difficile, douloureuse, mais on apprend à vivre avec. J’aime cette idée que les absents nous regardent avec bienveillance ! Merci à toi pour ton commentaire et pour ton passage sur le blog !
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